L’expulsion des Palestiniens de Salama, l’installation des Juifs Mizrahis à leur place, et l’éviction de ces résidents des décennies plus tard révèlent le mécanisme par lequel Israël continue d’effacer l’existence des Palestiniens.
Tout discussion exhaustive sur la nature du projet sioniste en Palestine et la Nakba continue doit s’intéresser aux moyens par lesquels, depuis le tout début, les relations de pouvoir entre les Ashkénazes (les Juifs d’Europe) et les Mizrahis (Juifs du Moyen Orient) ont affecté et été affectés par la dépossession du peuple palestinien. Les racines du colonialisme israélien se trouvent dans les origines européennes de l’idéologie sioniste, et ce sont ces mêmes origines qui ont également engendré une discrimination structurelle à l’encontre des Juifs Mizrahis à l’intérieur de la société israélienne.
Ainsi, afin d’assumer la responsabilité de la Nakba, réparer l’injustice, et construire une société équitable, nous devons rechercher quelle est la responsabilité des Mizrahis dans la Nakba. Ont-ils joué un rôle particulièrement important dans le déracinement du peuple palestinien ? Et peuvent-ils jouer un rôle particulièrement important dans la promotion de la justice et de la réparation ?
Dans la région de Tel-Aviv-Jaffa, le schéma de leur rôle dans la Nakba est facile à identifier. Après l’occupation et le dépeuplement des localités palestiniennes, les terres et les maisons ont été transférées au Gardien israélien des Biens des Absents, établi par une loi en 1950, qui les a utilisées pour loger les Juifs ; nombre d’entre eux étaient des immigrants Mizrahis, mais aussi des réfugiés des zones de combat pendant la guerre. Ce peuplement des propriétés « abandonnées » faisait partie d’une stratégie délibérée pour empêcher le retour des réfugiés palestiniens.
Les droits de propriété de ces nouveaux habitants juifs furent cependant intentionnellement laissés sans réglementation. Aujourd’hui, beaucoup de ces résidents juifs sont considérés comme des « squatters » et l’État les chasse sans compensation convenable, généralement pour laisser la place à des projets de logements haut-de-gamme. Ainsi, sous couvert de la Loi sur les Biens des Absents, les agents de la dépossession et de l’effacement des Palestiniens deviennent les victimes secondaires de ce même projet idéologique.
L’histoire du village palestinien de Salama au sud-est de Tel Aviv – connu maintenant sous son nom hébraïsé de Kfar Shalem – illustre la façon dont ce mécanisme continue de fonctionner jusqu’à aujourd’hui. Tout comme à Jaffa, Al-Jammasin-al-Gharbi (Givat Amal), Abu Kabir, Summayl, Al-Sheikh Muwannis et les autres « quartiers » qui étaient autrefois des communautés palestiniennes, l’État d’Israël et la Municipalité de Tel Aviv tirent profit des avoirs des résidents juifs qui ne sont même pas les propriétaires d’origine, ajoutant l’insulte à l’injure.
Depuis les années 1960, les autorités israéliennes ont cherché à expulser les habitants Mizrahis de Salama/Kfar Shalem qui, en retour, ont mené un long mais vain combat pour rester dans leurs maisons. Un résident, Shimon Yehoshua a été abattu par la police en 1982 alors qu’il essayait d’empêcher la démolition de sa maison. Les vagues d’expulsion qui s’en sont suivies ont déplacé des centaines d’anciens résidents, plus récemment pour faire place à la construction du tramway de Tel Aviv. Parallèlement à l’effacement des derniers restes de l’existence des Palestiniens à Salama, ces expulsions révèlent les manœuvres ethno-capitalistes du sionisme.
Nous avons interviewé trois Juifs israéliens qui ont grandi à Kfar Shalem afin d’élucider ce processus et explorer les implications du partage du butin de la Nakba selon des critères ethniques et socio-économiques.
‘L’instabilité fait partie de notre expérience’
Enseignante et militante sociale depuis longtemps, Pazit Adani est née en 1977 dans le quartier de Yedidia, sur les terres de Salama. Sa famille est d’abord arrivée à Jaffa en 1945 avec un groupe de 450 Juifs Habbanis venus du Yemen, organisé par le deuxième cousin de son père, Zecharia Adani. Après avoir passé quelques temps dans des camps de transit (ma’abarot) et à la suite de l’occupation des villages palestiniens en 1948, des membres de la communauté habbanie se sont installés sur les terres à l’est de Salama (aujourd’hui Ramat Hen et le Parc National Ramat Gan) et dans le Moshav Bareket, installé sur les ruines du village palestinien de Tira dans le gouvernorat de Ramla.
Dans le cadre du projet du Parc National dans les années 1950, les membres de la communauté Habbanie qui vivaient à l’est du village ont été relogés sur les terres au sud de Salama, dans ce qui est maintenant Yedidia. En décembre 1949, le bulletin d’information de la municipalité rapportait que le quartier comprenait « 40 à 50 maisons » (qui appartenaient probablement aux fermiers palestiniens de Salama) et « abritait quelque 250 familles (dont 20 sont des Ashkenazes, et le reste des immigrants Yéménites) ». Sur une carte produite par le Département des Enquêtes du Ministère du Travail en 1959, cette zone est indiquée comme camp de transit. « Notre maison était très petite », se souvient Adani. « Elle était située sur un puits transformé en égout parce qu’il n’y avait aucune infrastructure dans le quartier. »
Comme d’autres zones où l’État avait installé des familles juives dans des propriétés palestiniennes, le quartier de Yedidia a été négligé par les autorités israéliennes. En 1949, on a rapporté : « Il n’y a pas de route, et le quartier est également négligé en ce qui concerne l’assainissement. Il existe un réseau de canalisations, mais il n‘y a pas d’eau ; il y a des puits, mais pas de pompes électriques. L’eau est apportée dans des bidons depuis Salama. A cause du manque d’eau, les travaux [agricoles] des habitants du quartier sont faits en vain… Il n’y a ni école ni jardin d’enfants dans le quartier. »
Depuis lors et jusqu’à aujourd’hui, dit Adani, des membres de la communauté Habbanie ont envoyé des centaines de lettres aux autorités, demandant à maintes reprises que soit réglée la propriété foncière et que des solutions soient fournies aux habitants. Presque jusqu’en 2000, le quartier a été considéré comme « une zone non définie au niveau municipal » et, bien qu’il ait été officiellement annexé à Tel Aviv en2001, Yedidia souffre toujours de négligence et de problèmes d’infrastructure.
Adani décrit comment, alors qu’elle était toute petite, elle et ses amies du quartier ont réalisé l’énorme disparité qui existait entre elles et leurs homologues de Tel Aviv. Son grand-père travaillait au service municipal d’assainissement, qui transportait les ordures de toute la ville jusqu’au quartier de Yedidia, à cause du manque de services d’assainissement. Il devait brûler les ordures une fois par semaine.
« Nous n’avons pas de [nom] de rue, nous n’avons pas de numéro, nous ne sommes pas sur la carte », dit Adani. « Je ne peux pas expliquer où je vis. Aussi loin que je me souvienne, les ordres d’expulsion ont plané sur tout le quartier.
« C’est une communauté désavantagée par définition, une communauté soumise à des ordres d’expulsion », poursuit-elle. « L’instabilité fait partie de notre expérience. L’immobilier n’étant pas réglementé, nous nous battons toujours pour notre maison. » Cette situation « affecte tous nos mouvements » et « affaiblit à chaque fois un peu plus la communauté ».
Adani décrit le quartier aujourd’hui, enfoui dans une végétation luxuriante, d’un point de vue romantique ambivalent – qui se languit des vastes espaces de l’enfance. Mais elle est aussi consciente de la vie de ceux qui vivaient ici avant 1948. Elle dit que les habitants du quartier avaient l’habitude d’appeler les différentes parties de la ville par leurs noms arabes, comme Salama, Al-Manshiyya, etc. ; ce n’est que lorsqu’elle a eu 15 ans qu’elle a réalisé que ces noms étaient ceux des communautés palestiniennes.
‘Je me demandais toujours qui vivait dans cette maison’
Ayala Springer est née en 1950 et est arrivée à Salama avec sa famille à l’âge de 4 ans. Ses parents et ses oncles avaient vécu auparavant dans les maisons de réfugiés palestiniens à Al-Sheikh Muwannis (sur les terres desquelles a été bâtie plus tard l’Université de Tel Aviv) en dépit du fait qu’ils n’étaient pas de nouveaux arrivants ; les parents de sa mère vivaient à Kerem Hatermanim, quartier yéménite de Tel Aviv, et les parents de son père vivaient dans le quartier yéménite de Silwan, à Jérusalem.
Springer et ses parents ont vécu à Salama, qu’ils appelaient « le village », pendant environ dix ans. Elle devient nostalgique quand elle décrit leur vie là-bas : « Croyez moi, je suis prête à y retourner demain. »
La famille vivait dans deux maisons qui, toutes deux, étaient « des maisons d’Arabes qui avaient été expulsés ».La première maison « avait ces grandes portes [dans le style] des Arabes », se souvient Springer. « Nous avions une grosse clef en fer, comme ils en montrent dans les films, pour des palais. Qui avait une clef ? Les portes étaient ouvertes. Qu’y avait-il à voler ? Tout le monde était au même niveau, tout le monde possédait les mêmes choses. Toutes les portes ouvraient sur la cour intérieure. »
Elle se souvient des relations chaleureuses entre les familles d’immigrés venus de plusieurs pays : « Tout le monde parlait en hébreu, et ceux qui ne parlaient pas hébreu, en arabe… Nous étions comme une fratrie, une seule famille. Peu importait le sujet, nous nous aimions et nous nous entraidions. Parfois nous oubliions qu’ils avaient changé [le nom] en Kfar Shalem. C’était un village : tout le monde connaissait tout le monde et s’entraidait. »
Springer décrit le vieux village comme une rue principale avec une place centrale autour de laquelle il y avait un restaurant (« Chez Madmon »), des épiceries (« Chez Menachem » et « Chez Gindi ») et d’autres lieux (une poissonnerie, une mercerie, et la Poste). Les maisons se trouvaient dans de petites rues qui partaient de la rue principale.
« Mais aujourd’hui, c’est méconnaissable », dit-elle. « Vous y allez [et] vous dites : « Est-ce ici que nous vivions ? Non. Peut-être là ? L’endroit est déjà couvert de très hauts immeubles, et toutes les collines [nues] que nous y connaissions ont disparu. Ce n’était que des vergers, et ils ont construit des immeubles. »
Les agréables souvenirs d’enfance ne compensent pas l’impression qu’elle a d’être exploitée. L’État a installé les Springer dans les maisons de réfugiés palestiniens de Salama et n’a pas pris soin du village jusqu’à ce qu’il soit devenu rentable d’en tirer profit en vendant la terre à des promoteurs. « Et alors, [les autorités] leur ont dit : ‘Venez ici, nous vous donnerons une maison’, et ils ont construit sur leur terrain de grands immeubles, qu’ils ont vendus en se faisant des tonnes d’argent. C’est vraiment malheureux – c’était un beau, aimable et chaleureux village. »
A propos de l’histoire palestinienne de Salama, Springer dit qu’ils « ne savaient pas qui vivait dans les maisons, mais nous savions que les Arabes avaient fui ou avaient été chassés. Je continue à me demander qui vivait dans cette maison, où ils sont partis, avec les enfants, pauvres enfants.
« La maison de ma tante à Al-Sheikh Muwannis était [elle aussi] la maison d’un Arabe, avec ces larges et lourdes portes et ces mêmes clefs », poursuit-elle. « Qu’en est-il des gens qui vivaient là ? Il ne semble pas qu’il n’y ait eu qu’un papa, une maman, un garçon et une fille [à vivre là] ; il semble qu’il y ait eu aussi un grand-papa, une grand-maman, la famille [tout entière]. »
Et si Israël n’avait expulsé personne et que les gens aient simplement essayé de vivre ensemble dans le village, en tant qu’Arabes et Juifs ? « Croyez moi, ç’aurait été formidable », dit Springer.
‘C’était une sorte d’extraterritorialité’
Effi Banay est né à Salama en 1971, dans des immeubles érigés en 1967, non loin du centre du village où étaient logés les immigrants juifs – principalement du Maroc et d’Iran. « Ils ont emmené tous les gens de l’avion à Salama », dit-il, « et ma mère était la voisine de son ancienne voisine d’Isfahan. » D’après Banay, la plupart des Juifs iraniens ne voulaient pas immigrer en Israël, et l’Agence Juive s’est donné ::e beaucoup de mal pour les encourager à le faire, y compris en produisant des films de propagande.
« Ils venaient projeter ces films dans les écoles des enfants [en Iran] », dit Banay. « Mon oncle, le frère de ma mère, a vu un de ces films et, rentré chez lui, a dit à mon grand-père : ‘Je veux rejoindre l’armée.’ Parce que, que lui avaient-ils montré sur l’armée ? Des femmes soldats, des oranges, et la plage. Alors, il a dit : ‘Mon Dieu, je veux y aller et rencontrer une fille’ – [ce semblait être] un monde beaucoup plus laïque. »
C’est ainsi que l’oncle de Banay « est parti pour Israël et puis ma grand-père a pris peur. »Elle a pris toute sa famille et a immigré. » Banay dit que, si vous demandiez aujourd’hui à la plupart de ces gens s’ils auraient pris la même décision si on le leur proposait à nouveau, ils n’auraient pas immigré en Israël.
Dans le Salama de son enfance, Banay parle d’un tissu social ségrégationniste, constitué de communautés d’origines séparées. Il parlait le persan chez lui, avec le voisin, à l’épicerie, à la synagogue et avec sa grand-mère. « Jusqu’à l’âge de 4 ans, je ne connaissais pas l’hébreu », se souvient-il. « Je suis allé au jardin d’enfants [et) là, j’ai appris l’hébreu.
Même après que les immeubles aient été construits plus loin, le centre de ce qui avait été le Salama palestinien est demeuré le cœur du quartier. C’est là que se trouvaient les magasins et où les enfants de Kfar Shalem avaient l’habitude de jouer l’après-midi. Dans les années d’enfance de Banay, c’était un « territoire de chaos ». Le centre du village était « moins organisé, moins propre, tout [était] cassé [et] détruit. L’idée était que c’était l’endroit où aller pour se déchaîner, se libérer. » Au centre du village,il y avait une mosquée : « Vous pouviez vous y faufiler, grimper sur le toit, [et] y jouer. »
Il se souvient très bien de la différence de traitement par la municipalité du centre du village et des nouveaux quartiers. « Dans ma zone, on ne pouvait pas construire de cabanes dans les arbres parce que la municipalité persistait à les détruire ; plus loin, vous pouviez construire une maison dans un arbre, et elle y resterait pendant des mois. »
Mais il y avait des côtés plus moches pour le quartier, même du point de vue d’un petit garçon. « Ça ressemblait à une jungle », dit Banay. « Je me souviens par exemple de l’habitude prise d’y abandonner les voitures – voler une voiture et la décortiquer et abandonner là le squelette. [Ils voleraient] une vache ou un mouton dans un troupeau, le dépèceraient, [et] prendraient tout – laissant tous les os derrière eux. » Les déchets des usines y étaient également déversés ; « c’était une sorte d’endroit extraterritorial. »
Paradoxalement, la négligence délibérée de la Municipalité de Tel Aviv, originellement destinée à effacer peu à peu de l’espace l’existence des Palestiniens, l’a rendue d’autant plus apparente. « La municipalité n’a rien fait », poursuit Banay. « [ils] ne nettoyaient pas, il n’y avait pas de trottoirs, pas de routes pavées. Il y avait ces cabanes abandonnées, dont vous ne saviez pas à qui elles appartenaient, il y avait encore des vergers. On avait l’impression que quelqu’un avait tout abandonné et était parti. »
Finalement, dit-il, la municipalité viendrait démolir ces restes, ce qui n’a fait que révéler davantage le passé palestinien de Salama. « Nous viendrions le lendemain et découvririons soudain qu’il y avait un puits à côté de la maison, que nous n’avions pas remarqué jusque là », se souvient Banay. « Parfois, la structure d’origine de la maison qui était autrefois à son sommet [était visible], et la pompe [du puits].
Mais en tant qu’enfant, Banay ne savait pas ce que cela voulait dire. « Nous pensions ‘Oh d’accord, ça date d’avant notre naissance.’ Aujourd’hui, je sais que cela datait d’une période antérieure du village. »
‘Si nous rentrions de l’école, les émeutes commenceraient’
Jusqu’à la construction d’un centre communautaire en 1980 dans le quartier, la mosquée de Salama a servi de club pour les jeunes et de lieu de rassemblement. « A l’intérieur, il y a l’alcôve qui fait face à la Mecque », se souvient Banay. « Et à l’étage, il y a un escalier qui conduit à une sorte de toit, c’est très beau. Le paysage est étonnant parce qu’elle est construite sur le point le plus haut du village. »
Quand il était enfant, Banay se souvient avoir demandé pourquoi la mosquée était là. « Les gens disaient : ‘Autrefois, il y avait des Arabes ici, il y a eu une guerre, ils ont fui – simple. Comme 1-2-3. Et une légende courait sur un trésor caché dans la tombe. »
Quand le centre communautaire a été construit, la Municipalité de Tel Aviv a scellé la mosquée et a commencé à chasser les résidents des bâtiments qui la jouxtaient, afin de laisser la mosquée au centre d’un grand parc. La démolition progressive des bâtiments résidentiels d’origine de Salama n’a fait qu’augmenter l’étrangeté de la mosquée dans un espace judaïsé.
« Les gens étaient très partagés à l’égard de ce bâtiment », dit Banay. « Personne n’a dit ‘Détruisons le’, mais il ne représentait rien de religieux pour eux. C’est devenu un bâtiment qu’on avait l’habitude de voir au milieu du village, parce que toutes les maisons alentour lui ressemblaient beaucoup.
« Aujourd’hui, parce que la nature des [nouvelles] constructions est extrêmement moderne, elle semble encore moins adaptée à cet environnement », poursuit-il. « La population change elle aussi : des gens d’une classe socio-économique différente arrivent ici, et ils n’ont pas l’habitude de voir une mosquée juste à côté de leur maison – Elle leur semble étrange. Les Juifs mizrahis arrivaient d’un endroit où il était normal [de voir] une mosquée près de chez soi, [mais] les gens d’autres communautés ethniques ou d’autres régions trouvent cela très bizarre. »
Mais les prix de l’immobilier en 1980 ont commencé à monter en flèche, et la municipalité a changé de politique. « Quand la terre a commencé à devenir un peu plus chère, les expulsions ont commencé, » explique Banay. « Il y a eu l’histoire de la famille Yehoshua : ils sont venus les expulser et ils ont abattu [Shimon).
« Il y a eu plusieurs vagues d’émeutes. Tous les jours, nous revenions de l’école, des émeutes commençaient, et nous brûlions des pneus et bloquions les routes », continue-t-il. « Les gens ont senti là-bas que le système était contre eux, qu’ils étaient abandonnés, et qu’ils étaient les derniers dans l’ordre des priorités. »
Quand on lui a demandé si les gens de Kfar Shalem étaient opposés à la destruction et à l’effacement du Salama palestinien, Banay a dit que non. La lutte concernait l’évacuation sans compensation des gens de Kfar Shalem ; ils ne parlaient pas de leur complicité dans la Nakba continue, en tout cas pas explicitement. « Comprenez, les gens là-bas étaient aussi occupés à gagner leur vie », dit Banay. Ce sont des gens qui partent travailler, reviennent chez eux, et ils n’ont pas de temps disponible pour [d’autres] agendas – ils veulent survivre, survivre, survivre.
Nostalgie partagée
En 2010, Banay a publié un film documentaire intitulé « Nostalgie », dans lequel il retourne dans le quartier de son enfance après avoir déménagé au centre de Tel Aviv. Banay essaie de déchiffrer l’histoire de Salama : Qui étaient les habitants palestiniens d’origine du village ? Qu’ont ressenti à ce sujet les Juifs qui ont pris leur place ? Comment s’est développé le combat des habitants juifs contre leur propre éviction ?
Ce film tire son nom de la nostalgie que la mère de Banay a ressentie avec l’envie pressante de retourner dans sa maison d’enfance à Isfahan en Iran. Mais en choisissant de tourner un film sur Salama, Banay voulait explorer son propre sentiment de nostalgie. « Quand j’ai déménagé [au centre de Tel Aviv], j’allais revoir [Salama] assez régulièrement », dit-il. « Je m’y promenais, visitais les environs, sans jamais réaliser pourquoi j’étais attiré par la mosquée.
« J’ai commencé à me rappeler ma maman, qui me disait souvent à quoi ça ressemble de se réinstaller, et à quel point sa maison lui manquait », continue-t-il. « Et je disais, Oh là là, je la comprends ; j’ai déménagé à quatre kilomètres dans une autre [maison] dans un meilleur quartier – et si je ressens cette nostalgie, elle a dû la ressentir mille fois plus fort. Mon empathie s’est intensifiée quand je suis passé par là moi aussi. »
Banay a été exposé à la nostalgie ressentie par les réfugiés palestiniens de Salama au cours du tournage du film, quand il a entendu des histoires sur leurs visites au village après l’occupation de 1967, qui a permis à quelques Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza d’aller dans ce qui était maintenant Israël. « L’un d’entre eux pouvait prendre un bus le matin à Ramallah, arriver à Kfar Shalem, frapper à la porte de la maison où il avait vécu et dire : ‘Puis-je voir ma maison ?’ Et les gens les laissaient entrer. »
Abu Sami Mas’oud, réfugié palestinien de Salama, raconte dans le film que de temps en temps, il va jusqu’à Salama un vendredi avec une chaise pliante, et s’assied simplement près de la mosquée. « Je reviens rafraîchi », dit-il. « C’est ce que l’on ressent, la sensation de la terre, la sensation de l’endroit où vous viviez, et vous vous rappelez ce qui était bien. Il n’y avait pas de guerre, il n’y avait rien. Tout était bon et beau, paisible, calme. »
Banay a souligné qu’il n’y a jamais eu de ressentiment ou de peur à l’égard de Mas’oud, mais seulement l’hospitalité et la sensation d’une destinée tragique partagée. « Les gens ici soutiennent le Likoud [parti de droite] – ils ne sont pas de gauche, ce n’est pas le Meretz. [Mais] ils l’ont fait entrer, lui ont offert du café, il leur a montré où il vivait. Merci, au revoir, et retour à la maison. » Il dit que « la sympathie était très naturelle », étant donné que beaucoup des Juifs qui s’étaient installés à Salama avaient eux aussi quitté leur maison d’origine en Irak, en Égypte ou en Libye.
Parmi les histoires de visites de Palestiniens, Banay entendait sans cesse parler de réfugiés qui demandaient à entrer dans une maison ou un puits, puis enlevaient une brique et sortaient l’or qu’ils avaient caché là avant la Nakba. « Même Abu Sami m’a dit que son grand-père cachait [de l’or] dans le puits », dit Banay. « Alors, d’autre personnes du village ont voulu qu’il garde le leur. Quand ils ont construit les projets de logement, ils ont mis tous les déchets de démolition des maisons dans ce puits, l’ont scellé et ont construit un bâtiment au-dessus de lui. »
Margalit, résidente de Kfar Shalem interviewée dans le film, a été recrutée par l’Irgoun, groupe paramilitaire sioniste clandestin d’avant l’État, à l’âge de 14 ans parce qu’elle parlait couramment l’arabe. Elle dit qu’étant donné la situation stratégique de Salama, c’était « l’endroit qu’il fallait nettoyer en premier » en 1948. Elle a d’abord travaillé là en tant qu’espionne, mais au bout de quelque temps, elle a dit au commandant de l’Irgoun et futur premier ministre, Menachem Begin, qu’il s’agissait d’un village de fermiers qui ne représentait aucune menace.
Cela n’a pas empêché les milices sionistes d’expulser les résidents en 1948. « Ils ont fui en toute hâte », dit-elle dans le film. « Ils ont même laissé la nourriture sur le feu. »
L’une des scènes du film de Banay montre une rencontre entre Margalit et Abu Sami. « Il n’y avait rien d’autre à faire que de s’asseoir près d’eux et les observer, parce qu’ils partageaient un sentiment étonnant de destin commun », dit-il. « Ils parlaient comme s’ils se connaissaient depuis un siècle, pas de reproches, rien », a-t-il poursuivi. « Elle avait aidé à le déraciner, [mais] pas de rancune envers elle, pas de haine – C’était étonnant de voir ça. »
« Je continue de dire qu’en fin de compte, s’ils avaient laissé les Mizrahims négocier avec tout le monde arabe, le résultat aurait été bien meilleur », dit Banay. « Vous partagez la même culture, ce qui aide à combler les fossés, bien mieux qu’avec un Européen qui arrive et négocie dans un style complètement différent, sans comprendre toutes ces petites nuances de respect. »
Ce texte comprend des extraits de « Se souvenir de Salama », livret publié par Zochrot dans le but de documenter les endroits qu’Israël a occupés et détruits au cours de la Nakba depuis 1948.
Une version de cet article a d’abord été publiée en hébreu sur Haokets. Lisez le ici.
Doron Yacov est un artiste, militant, et membre de l’association Decolonizing TLV de Zochrot.
Adi Golan Bikhnafo est un militant et membre de l’association Decolonizing TLV de Zochrot.
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Cordialement
Kais Ben Mrad
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